Le juge et l'histoire
Lorsque Claude Lévi-Strauss fonda L’Homme en 1960, il éprouva le besoin de faire appel, au Comité de direction de ce qui allait devenir la Revue française d’anthropologie, à deux collègues, non membres de son laboratoire, appartenant à des disciplines qu’il estimait être proches de l’ethnologie, le linguiste Émile Benveniste et le géographe Pierre Gourou. « Il me paraissait essentiel de manifester certains traits originaux de la recherche française, notamment le lien entre l’ethnologie et la géographie humaine, tel qu’il s’affirme dans la tradition de Vidal de La Blache. Les paysans du delta tonkinois, qui rendit Pierre Gourou célèbre, est un livre d’ethnologue autant que de géographe ou d’historien » (Lévi-Strauss, Éribon 1988 : 95-96).
2Pierre Gourou (1900-1999) a traversé le xxe siècle avec une œuvre d’une longévité exceptionnelle dont la liste des livres publiés, une douzaine, est aussi abondante à partir de 1970 qu’auparavant. On peut même dire, de son propre aveu, que le texte qui exprime sa pensée sous sa forme la plus achevée est Terres de bonne espérance : le monde tropical paru en 1982, donc à un âge déjà très avancé. Sa production, qui s’étend sur soixante ans de Tonkin (1931) à L’Afrique tropicale, nain ou géant agricole ? (1991), malgré son abondance, présente une très grande unité. Elle suit une même ligne avec une problématique récurrente sur les relations entre les hommes et leurs milieux naturels passant à travers le prisme de leur civilisation. Les sociétés sont abordées à travers les paysages qu’elles créent et leur capacité à occuper l’espace selon des densités de population plus ou moins grandes. P. Gourou est connu comme le géographe des pays tropicaux, mais il n’est pas seulement cela, car il a élaboré un paradigme valable pour la géographie humaine dans son ensemble.
Un géographe dans la colonisation3Pierre Gourou est né en 1900 à Tunis, dans une possession française pour laquelle il avoue ne pas avoir senti un grand