Le paradoxe du comédien de Diderot
Nous sentons, nous ; eux, ils observent, étudient et peignent. Le dirai-je ? Pourquoi non ? La sensibilité n’est guère la qualité d’un grand génie. Il aimera la justice ; mais il exercera cette vertu sans en recueillir la douceur. Ce n’est pas son cœur, c’est sa tête qui fait tout. À la moindre circonstance inopinée, l’homme sensible la perd ; il ne sera ni un grand roi, ni un grand ministre, ni un grand capitaine, ni un grand avocat, ni un grand médecin. Remplissez la salle du spectacle de ces pleureurs-là, mais ne m’en placez aucun sur la scène. Voyez les femmes ; elles nous surpassent certainement, et de fort loin, en sensibilité : quelle comparaison d’elles à nous dans les instants de la passion ! Mais autant nous le leur cédons quand elles agissent, autant elles restent au-dessous de nous quand elles imitent. La sensibilité n’est jamais sans faiblesse d’organisation. La larme qui s’échappe de l’homme vraiment homme nous touche plus que tous les pleurs d’une femme. Dans la grande comédie, la comédie du monde, celle à laquelle j’en reviens toujours, toutes les âmes chaudes occupent le théâtre ; tous les hommes de génie sont au parterre. Les premiers