Le passage qui a donne son titre au raman
7522 mots
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Le passage qui a donné son titre au roman. « J'ai un travail pour toi, dit le Maître. Une affaire littéraire. Je connais mes limites; le don de la malice rimée, l'art de la calomnie rythmée, sont au-delà de mes capacités. Tu comprends. » Mais Baal, le fier, l'arrogant, se raidit, se réfugie dans sa dignité. « II n'est pas juste que l'artiste devienne le serviteur de l'État. » La voix de Simbel baisse, prend un rythme plus soyeux. « Ah, oui. Alors que te mettre au service des assassins est une chose tout à fait honorable.» Un culte des morts fait rage à Jahilia. Quand un homme meurt, des pleureuses professionnelles se frappent, se déchirent la poitrine, s'arrachent les cheveux. On laisse mourir sur la tombe un chameau aux jarrets coupés. Et si l'homme a été assassiné, son parent le plus proche prononce des vœux d'ascétisme et poursuit le meurtrier jusqu'à ce que le sang ait été lavé par le sang; la coutume veut qu'on compose un poème d'éloge, mais peu de vengeurs ont le don de la poésie. De nombreux poètes gagnent leur vie en écrivant des chants d'assassinat, et tous s'accordent pour reconnaître que le meilleur des poètes qui font l'éloge du sang est le tout jeune polémiste, Baal. Que sa fierté professionnelle empêche de se sentir blessé par les petites flèches du Maître. « C'est une affaire culturelle », répond-il. Abu Simbel s'enfonce de plus en plus dans ses manières soyeuses. « Peut-être bien, chuchote-t-il devant les portes de la Maison de la Pierre Noire, mais, Baal, reconnais-le : n'ai-je pas un droit sur toi? Ne sommes-nous pas, tous deux, en quelque sorte au service de la même maîtresse? » Le sang quitte les joues de Baal; sa confiance se brise, le quitte comme une coquille. Le Maître, apparemment insensible à ce changement, pousse le poète satirique dans la Maison. On dit à Jahilia que cette vallée est le nombril du monde; qu'à sa création, la planète tournait autour de ce point. Adam vint ici et vit un miracle: quatre colonnes d'émeraude