Le théâtre au xviie siècle
Didier SOUILLER Université de Bourgogne
La tradition qui fait juger des œuvres théâtrales du XVIIe siècle français à l’aune des normes d’un classicisme artificiel a particulièrement pesé sur le destin du Dom Juan de Molière. La pièce gêne déjà les contemporains, non seulement par ses ambiguïtés à l’égard de la religion, mais par sa dramaturgie, si peu « régulière » et si peu conforme aux souhaits des « doctes » que l’adaptation que composa Thomas Corneille en 1677 (en vers, expurgée des « audaces » et d’une forme plus régulière) resta 170 ans au répertoire et condamna au silence la pièce écrite par Molière. Mais de quelle pièce s’agit-il exactement ? Les deux Festin de Pierre ou le Fils criminel (de Dorimon et Villiers, respectivement de 1659 et 1660), dont Molière s’est inspiré directement, sont des tragi-comédies en cinq actes et en vers. Pourtant, les éditions modernes du Dom Juan de Molière, depuis la vénérable collection des « classiques Larousse », le qualifient de comédie, en reprenant le sous-titre des premières éditions (posthumes), celles de La Grange (1682) et d’Amsterdam (1683). Non sans quelque malaise à l’égard des changements de lieu ou de la chronologie floue, défauts que l’on a cru longtemps devoir attribuer à la hâte de Molière pour bâcler une œuvre dont sa compagnie avait le plus grand besoin lors de la querelle du Tartuffe. Or, on se bat sur scène, on échappe à un naufrage, il y a mort d’homme et présence d’un revenant : autant de caractéristiques du drame ou, si l’on préfère une terminologie propre au XVIIe s. français, de la tragi-comédie. Au contraire, ne serait-il pas possible de voir dans ces choix dramaturgiques une rupture délibérée avec les formes « classiques » de la comédie qui prévaudront avec le Misanthrope et Les Femmes Savantes ? Aucun arbitraire de la part de Molière avec semblable dessein, mais la volonté de véhiculer un sens par le choix d’une