LeCygne
LXXXIX - Le Cygne
A Victor Hugo
←poème dédié à l’exilé volontaire
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Andromaque1, je pense à vous ! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L'immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs2 menteur qui par vos pleurs grandit,
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A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville ←les grands travaux d’Haussmann ont commencé
Change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel) ;
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Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.
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Là s'étalait jadis une ménagerie3 ;
Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieux
Froids et clairs le Travail s'éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,
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Un cygne qui s'était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec
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Andromaque : du grec « andro » = homme et « maché » = combat » : « celle qui combat les hommes ». Dans la mythologie grecque, elle était la femme d’Hector, dont elle avait eu un fils, Astyanax. Lors de la guerre de
Troie, Neoptolème, fils d’Achille, jeta Astyanax du haut des remparts, puis enleva Andromaque et l’emmena en
Epire pour l’épouser. Ce personnage inspira Homère, Euripide, Virgile et Racine.
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Simoïs : dans la mythologie grecque, le Simoïs est à la fois un dieu et un fleuve débouchant dans la plaine de
Troie.
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Ménagerie = lieu où sont rassemblés des animaux rares, soit pour l’étude, soit pour la présentation au public.
Les animaux ainsi rassemblés. (Dict. Robert)
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Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le cœur plein de son beau lac natal :
"Eau, quand donc