Les courses de dom juan
D'où ces courses, pour échapper à ce monde, et qui tournent à vide : « Je cours, donc je suis. » Puis bientôt : « Tant que je cours, je suis. » Et enfin : « Je ne sais plus où aller, je meurs[2]. »
Il a toujours quelqu'un à ses trousses, qui le rattrape toujours. Ou bien il poursuit quelqu'un ou quelque chose, qu'il n'atteint pas ou qu'il perd aussitôt : mais chaque course tend à produire une scène arrêtée de son monde, une manière nouvelle de le mesurer et de s'en échapper, une facette brillante de son impatience et de son inquiétude, une espèce de tableau vivant organisé autour d'un geste ou d'un mot du héros et susceptible d'une légende : « Dom Juan et Elvire », « La Profession de foi », « Dom Juan tire l'épée », « la Mort de Dom Juan », etc.
D'où vient l'énergie ainsi déployée à la recherche d'autres mondes ? Est-ce exactement ou simplement une question de désir sexuel ? Oui, selon ce qu'il en dit lui-même, dans un discours célèbre (voir, en annexe, une étude détaillée de ce passage) :
[…] Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et, comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses (acte I, sc. II).
Apparemment nous y voilà : c'est l'érotisme. Mais dès qu'il en parle, il renvoie le désir sexuel à la métaphore bien connue de la guerre et celle-ci à celles aussi habituelles, aussi usées, de la prédation, du pouvoir et de l'avoir. Et les images du pouvoir et de l'avoir renverront, nous le savons d'avance, à la question et au moment de l'être : elles y renvoient toujours. Dom Juan n'échappe donc ni aux images de la rhétorique ancienne ni aux questions qui retentissent sur le théâtre occidental quasiment