Les fleurs de mal
Correspondances : un art poétique idéaliste
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
Baudelaire, Les Fleurs du mal, IV.
Par Jean-Luc. | Version pdf.
Introduction
Charles Baudelaire, dans son recueil de poèmes Les Fleurs du mal, œuvre novatrice mais provocante publiée en 1857, confère au poète un rôle nouveau d’intermédiaire entre la Nature et l’homme. Le début du recueil expose la situation difficile de l’artiste dans le monde bourgeois positiviste et étriqué du Second Empire : ainsi est-il maudit dans « Bénédiction », exilé, rejeté par le monde dans « L’Albatros ». Mais dans le sonnet « Correspondances », le poète renoue avec la fonction romantique du mage. En effet, Baudelaire est persuadé que seul le poète peut percevoir intimement le monde sensible, sa première source d’inspiration. Ici, le poète ouvre dans la méditation sur la Nature une nouvelle voie de connaissance en même temps qu’il invente ou plutôt affine les expressions novatrices qui lui permettront de rendre compte de cette expérience mystique. Le poète livre une méthode, celle des synesthésies, c’est-à-dire des équivalences sensorielles. Les outils littéraires aptes à rendre compte de cette démarche sont essentiellement les figures d’images : comparaisons et métaphores. Le sonnet « Correspondances » est donc d’abord un poème didactique