La biographie d'Hubert

ve• Méiy

Une certaine idée du "Monde
« Pas de lèchecutage ! », demandait à ses journalistes le fondateur du grand quotidien. Dans le portrait qu'il livre du «patron », Laurent Greilsamer ne s'est pas dérobé à l'injonction n1951,1e découragement n'est pas loin. « Tout est foutu, vieux chêne. Les journaux de concierge repartent... La lutte pour le lecteur... La publicité... Il ne nous reste plus qu'à reprendre le maquis ou à nous enfermer dans un monastère. » Hubert Beuve-Méry a 49 ans. Le journal qu'il dirige — « le Monde » qui n'a pas sept ans d'existence, traverse avec la fronde des actionnaires proches du MliP, sa première grave crise interne. Par ces mots, Beuve renoue ce jour-là, très consciemment, avec celui dont le souvenir — depuis le début — l'habite : Charles Péguy, qui au début du siècle rêvait déjà de créer contre la « presse pourrie » —le premier « journal vrai ». Ce serait un journal assez libre et assez fou pour « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste ». Dans l'éditorial du premier numéro du « Monde », le 18 décembre 1944, Beuve avait repris trait pour trait le projet de Péguy et même l'un de ses mots : le mot vrai. Somptueux programme mais dont Beuve n'ignore pas qu'il est hasardeux. Pas plus qu'il n'oublie le dernier texte, pathétique et incandescent, que Péguy adressait en 1909 après qu'il eut échoué aux abonnés des « Cahiers de la Quinzaine «: « Tout ce que nous avons soutenu, tout ce que nous avons défendu, les moeurs et les lois, le sérieux et la sévérité, les principes et les idées (...) tout ce que nous avons défendu recule de jour en jour devant une inculture croissante, devant l'envahissement de la corruption politique et sociale. » Quarante et un ans plus tard, Beuve s'interroge soudain de la même façon. La France veut-elle vraiment du « journal vrai», de cette presse incorruptible dont la Libération