Les presocratique
Les philosophes grecs d'avant Socrate, fondateurs de nos modes de pensée, éveillent toujours une curiosité fascinée : on tente de comprendre comment la pensée humaine a pu, vers le VIe siècle av. J.-C., délaisser les chemins traditionnels de la poésie et du mythe pour s'engager dans la voie nouvelle de la recherche rationnelle, celle de la science et de la philosophie. Les présocratiques sont entourés de mystère, car leurs œuvres et leurs idées ne sont connues que d'une façon indirecte et parfois si lacunaire que la reconstitution de leur pensée tient du rébus. I. Une œuvre faite de fragments disparates
La croyance en l'existence d'une «pensée présocratique» est d'abord une illusion qui est le fruit de notre ignorance et d'une erreur de perspective. L'oeuvre écrite de tous les philosophes d'avant Platon est perdue, et on ne peut en avoir une idée qu'au moyen des références (de longueur et de qualité très variables) qu'en firent les auteurs ultérieurs (de Platon jusqu'aux compilateurs païens ou chrétiens de l'Antiquité tardive), sans qu'il soit toujours possible de faire la part entre citation et interprétation. Les travaux de l'école philologique allemande du XIXe siècle s'efforcèrent de rassembler, de découper et de classer tous ces textes, en distinguant, autant que possible, les fragments authentiques des simples témoignages. De là la monumentale édition de Hermann Diels, les Fragments des présocratiques (1922), qui, en même temps qu'elle fournissait une voie d'entrée irremplaçable aux pensées fondatrices, alimentait l'illusion qu'il existait entre elles quelque autre lien que notre propre ignorance. Or un simple aperçu sur la variété de leurs styles (parfois poétique, parfois lapidaire), de leurs objets (des mathématiques à la médecine en passant par la religion), de leurs doctrines (certains plutôt «matérialistes», d'autres plutôt «idéalistes») et de leur origine géographique (quoique tous de langue grecque) suffit à dissiper