Litterature francaise
par
René BAZIN
Nul ne pourrait dire la paix qui enveloppait cette cure de campagne. La paroisse était petite, honnête moyennement, facile à vivre, habituée au vieux prêtre qui la dirigeait depuis trente ans. Le bourg finissait au presbytère. Le presbytère touchait aux prés en pente qui s’en allaient vers la rivière, et d’où montait, à la saison chaude, toute la chanson de la terre mêlée au parfum des herbes. Derrière la maison trop grande, un potager entamait le pré. Le premier rayon de soleil était pour lui, et le dernier de même. On y voyait des cerises dès le mois de mai, des groseilles souvent plus tôt, et, une semaine avant l’Assomption, le plus souvent, on ne pouvait passer à cent mètres de là sans respirer, entre les haies, le parfum lourd des melons mûrissants.
N’allez pas croire que le curé de Saint-Philémon fût gourmand : il avait l’âge où l’appétit n’est qu’un souvenir, le dos voûté, la face ridée, deux petits yeux gris dont l’un ne voyait plus, des lunettes rondes et une oreille si dure qu’il fallait faire le tour et changer de côté quand on l’abordait par là. Ah ! Seigneur, non, il ne mangeait pas tous les fruits de son verger ! Les gamins en volaient leur grande part, et surtout les oiseaux : les merles qui vivaient là toute l’année grassement, et chantaient en retour de tout leur mieux ; les loriots, jolis passants qui les aidaient pendant les semaines de grande abondance, et les moineaux, et les fauvettes de tout plumage, et les mésanges, espèce pullulante et vorace, touffes de plumes grosses comme un doigt, pendues aux branches, tournant, grimpant, piquant un grain de raisin, égratignant une poire, vraies bêtes de rapine enfin, qui ne savent donner en récompense qu’un petit cri aigre comme un coup de scie. Même pour elles, la vieillesse avait rendu indulgent le curé de Saint-Philémon. « Les bêtes ne se corrigent pas, disait-il ; si je leur en voulais de ne pas changer, à combien de mes