Littérature et politique
Roland Barthes
I Pouvoir de subversion spécifique de la littérature
Roland Barthes pose d’emblée la littérature, tous genres confondus, comme subversive, sans préciser dans quel domaine. S’il y a remise en cause de l’ordre politique, on peut d’abord l’entendre au sens large, c’est-à-dire un geste d’écriture qui n’a de sens qu’au cœur de la cité, d’une société organisée où la contrainte se loge partout, à commencer par le système de la langue, une langue qui est partagée par tous dans sa fonction de communication (c’est le système même de la langue qui lui semble fasciste). Se pose dès lors la question de l’origine des forces de liberté consubstantielles à l’écriture littéraire. Elles ne sauraient provenir ni de la personne civile de l’écrivain, ni de la direction idéologique de l’œuvre, parce que l’une et l’autre tiennent à la société réelle, donc à la société comme lieu de pouvoir. Les forces de liberté proviennent d’un acte spécifique : le travail de déplacement sur la langue.
* Dissociation de la personne civile et du sujet écrivant
Le geste scriptural émancipe d’abord le sujet écrivant de la personne civile qu’il est aussi, attachée à un milieu, à une identité particulière, à tout ce qui est de l’ordre du circonstanciel. On sait qu’une œuvre peut aller à l’encontre de l’intention première de l’écrivain.
L’exemple canonique est l’analyse par Georg Lukacs des Paysans de Balzac. Lukaks montre qu’il y a contradiction entre le projet avoué de Balzac et ce que le roman révèle. Pour Balzac, il s’agit de dénoncer le travail destructeur qu’accomplissent les petits paysans sur la grande propriété nobiliaire. Le roman révèle autre chose, un conflit de classes où triomphe la bourgeoisie des usuriers. Balzac obéit à une idéologie légitimiste, il a une acuité qui le dépasse lui-même, qui va au-delà de son projet.
Sartre reproche à Flaubert de n’avoir pas écrit une ligne pour empêcher la répression