Locke les mots et les idées essai l iii ch.2
§ 1 Quoique l’homme ait une grande diversité de pensées, qui sont telles les autres hommes en peuvent recueillir aussi bien que lui, beaucoup de plaisir et d’utilité, elles sont pourtant toutes renfermées dans son esprit, invisibles et cachées aux autres, et ne sauraient paraître d’elles-mêmes. Comme on ne saurait jouir des avantages et des commodités de la société sans une communication de pensées, il était nécessaire que l’homme inventât quelques signes extérieurs et sensibles par lesquels ces idées invisibles dont les pensées sont composées, pussent être manifestées aux autres. Rien n’était plus propre à cet effet, soit à l’égard de la fécondité ou de la promptitude, que ces sons articulés qu’il se trouve capable de former avec tant de facilité et de variété. Nous voyons par-là comment les mots, qui étaient si bien adaptés à cette fin par la nature, viennent à être employés par les hommes pour être signes de leurs idées, et non par aucune liaison naturelle qu’il y ait entre certains sons articulés et certaines idées (car en ce cas-là il n’y aurait qu’une langue parmi les hommes) mais par une institution arbitraire en vertu de laquelle un tel mot a été fait volontairement le signe d’une telle idée. Ainsi, l’usage des mots consiste à être des marques sensibles des idées : et les idées qu’on désigne par les mots sont ce qu’ils signifient proprement et immédiatement.
§ 2 Comme les hommes se servent de ces signes, ou pour enregistrer, si j’ose ainsi dire, leurs propres pensées afin de soulager leur mémoire, ou pour produire leurs idées et les exposer aux yeux des autres hommes, les mots ne signifient rien autre chose, dans leur première et immédiate signification, que les idées qui sont dans l’esprit de celui qui s’en sert, quelque imparfaitement ou négligemment que ces idées soient déduites des choses qu’on suppose qu’elles représentent. Lorsqu’un homme parle à un autre, c’est afin de pouvoir être entendu ; et le but du langage est