Longtemps, je me suis couché de bonheur
Longtemps, je me suis couchée de bonne heure. Bonheur ! me disais-je, de se lever au matin le regard neuf, l’ouïe alerte, le corps reposé d’une douce nuit. Quiétude ! pensais-je, en regard des mornes gens dans la rue, qui traînaient pas et manteaux pesants d’une détermination feinte. Euphorie ! m’extasiais-je quand, emportée par une multitude d’odeurs et de sons, je descendais une par une les quelques marches de mon perron. Je vivais en ce temps-là chaque aurore comme un renouveau.
Mais à présent, je n’ai plus le cœur à cela. Voilà déjà bon nombre d’années que je ne m’adresse plus au soleil, mais à son substitut nocturne. La clarté de l’astre lunaire, m’ayant d’abord enveloppée d’un cocon sourd de crainte, s’ouvrait dès lors à moi.
Désormais, je me couche tard. Car, assise sur le rebord de la fenêtre, je me confie. Chaque soir, elle en apprend un peu plus sur ma vie, sur ces multiples petits événements banals qui la jalonnent. D’astre, elle devint confidente ; et de cette confidente je me fis amie.
Chaque soir donc, je lui parlais. Un monologue qu’elle semblait écouter, son grand œil rond braqué sur le monde. Je lui murmurais tantôt une poignée de mots, tantôt d’infinis récits. Mais quoi qu’il en soit, elle se tenait toujours là, fière et altière, parfois noyée en partie dans les abîmes du ciel.
Un jour pourtant, elle disparut. Le ciel, m’alarmai-je alors, l’avait sans doute emprisonnée de ses doigts nébuleux… mais une autre idée, plus funeste encore, me traversa l’âme sans que je n’ose l’exprimer : Peut-être m’avait-elle abandonnée, se lassant de mes histoires ?
Je ne dormis pas, cette nuit-là. Et je n’eus pour seule lueur dans l’obscurité nocturne que la flamme vacillante de mon espérance.