Loti Les Derniers Jours De Pekin 98
Arrivée dans la mer Jaune
Lundi 24 septembre 1900.
L’extrême matin, sur une mer calme et sous un ciel d’étoiles. Une lueur à l’horizon oriental témoigne que le jour va venir, mais il fait encore nuit.
L’air est tiède et léger… Est-ce l’été du Nord, ou bien l’hiver des chauds climats ? Rien en vue nulle part, ni une terre, ni un feu, ni une voile ; aucune indication de lieu : une solitude marine quelconque, par un temps idéal, dans le mystère de l’aube indécise.
Et, comme un léviathan qui se dissimulerait pour surprendre, le grand cuirassé s’avance silencieusement, avec une lenteur voulue, sa machine tournant à peine.
Il vient de faire environ cinq mille lieues, presque sans souffler, donnant constamment, par minute, quarante-huit tours de son hélice, effectuant d’une seule traite, sans avaries d’aucune sorte et sans usure de ses rouages solides, la course la plus longue et la plus soutenue en vitesse qu’un monstre de sa taille ait jamais entreprise, et battant ainsi, dans cette épreuve de fond, des navires réputés plus rapides, qu’à première vue on lui aurait préférés.
Ce matin, il arrive au terme de sa traversée, il va atteindre un point du monde dont le nom restait indifférent hier encore, mais vers lequel les yeux de l’Europe sont à présent tournés : cette mer, qui commence de s’éclairer si tranquillement, c’est la mer Jaune, c’est le golfe du Petchili par où l’on accède à Pékin. Et une immense escadre de combat, déjà rassemblée, doit être là tout près, bien que rien encore n’en dénonce l’approche.
Depuis deux ou trois jours, dans cette mer Jaune, nous nous sommes avancés par un beau temps de septembre. Hier et avant-hier, des jonques aux voiles de nattes ont croisé notre route, s’en allant vers la Corée ; des côtes, des îles nous sont aussi apparues, plus ou moins lointaines ; mais en ce moment le cercle de l’horizon est vide de tous côtés.
À partir de minuit, notre allure a été ainsi ralentie afin que notre arrivée
– qui va s’entourer