Monteur de chapiteaux
Monteur de chapiteaux Il a une cinquantaine. De belles rides, des mains avec un contour noir autour des ongles. Il me rappelle le personnage principal du film russe « L’été froid de 53 ». On se sent en sécurité à ses côtés. Dix minutes m’ont suffi pour comprendre tout cela. Il est maigre et sombre. Une cigarette en permanence entre les doigts. Un trou sur sa flanelle près de l’aisselle. Un regard moqueur et en même temps humilié. Des yeux respirant la bonté et de l’ironie, un peu bachkirs ou kazakhs, bien qu’il soit français. Il enlève de ma tête le capuchon de mon imperméable en polyéthylène : « C’est pas la peine ! Il ne pleut pas ! » Comme une bénédiction. Octobre 2007. J’appartiens à une équipe internationale de bénévoles. On est venu à Guichen pour installer les stands pour un salon d’agriculture biologique. Je viens de la Russie, de la mer du Japon, et je n’ai aucune idée de l’agriculture biologique. On habite dans un tipi : six filles et quatre garçons. Louis, un Français de Brest qui a 52 ans, dort seul dans une petite tente à côté parce qu’il ronfle. Tous sont européens, sauf Foussy de Lesotho et moi. Sur la carte, on mesure la distance entre Paris et le Lesotho, puis entre Paris et Vladivostok. Vladivostok gagne. Ça m’énerve. « Elle est venue du bout du monde pour nous donner un coup de main ! ». Cette attention particulière m’emmerde déjà. Je suis étourdie, tout me paraît irréel. Le matin, au moment de sortir de mon sac de couchage, je crève de froid. C’est octobre. Ça caille. On est tous enrhumés. Et malgré tout cela, j’ai l’impression d’échouer dans un conte de fée. Je répète tout bas leurs prénoms magiques : Kaja, Elena, Tobias, Eva, Léo, Stéfania et je manque d’air. Nous sommes unis ici, à ce point de l’Univers, aujourd’hui à cette heure précise, et je n’oublierai rien, quoi qu’il arrive, même si nous devenons vieux, même si nous mourons, ces étoiles nocturnes de Guichen et l’herbe mouillée du matin et du soir sont à nous, à