Notre vie
Aurore d'une ville un beau matin de mai
Sur laquelle la terre a refermé son poing
Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires
Et la mort entre en moi comme dans un moulin
Notre vie disais-tu si contente de vivre
Et de donner la vie à ce que nous aimions
Mais la mort a rompu l'équilibre du temps
La mort qui vient la mort qui va la mort vécue
La mort visible boit et mange à mes dépens
Morte visible Nusch invisible et plus dure
Que la faim et la soif à mon corps épuisé
Masque de neige sur la terre et sous la terre
Source des larmes dans la nuit masque d'aveugle
Mon passé se dissout je fais place au silence
"Le temps déborde" est un recueil publié en 1947 soit quelques mois après le décès brutal et inattendu de sa compagne Nush. Dans tous les poèmes du recueil Eluard revient sur les dix-sept années de vie commune qui se sont brusquement interrompues. Notre vie est le poème le plus connu du recueil, celui ou la mort de Nush est aussi la sienne. La vie avec Nush ne faisait qu'un avec l'emploi de ce possessif notre. Si le second terme est vie, le mot qui revient comme une obsession dans ce poème est la mort.
La structure de ce poème en alexandrins réguliers est ce qui retient le lecteur. La mort de sa compagne Nusch, une mort brutale, entrée chez Eluard "comme dans un moulin" apparaît comme une rupture dans la composition du poème autant que dans la vie de l'auteur. L'opposition entre la vie et la mort commence dès le premier vers avec une alternance de 6 pieds sur la vie "Notre vie tu l'as faite" et de 6 pieds sur la mort "elle est ensevelie", puis elle continue avec 1 alexandrin sur la vie "Aurore d'une ville un beau matin de mai" et un autre sur la mort "Sur laquelle la terre a refermé son poing". Les deux alexandrins suivant ont la même structure, puis il y a deux alexandrins sur la vie. Le poème bascule au vers 8, avec la conjonction "mais" qui introduit l'opposition, l'objection. Les 8