296ème régiment le 18 décembre 1916 à Verdun
Soldat Gédéon Brisavion

Mon très cher Maurice,
Voilà un mois que tu es parti, j'espère sincèrement que tes blessures guériront, mais que toi, tu ne reviendras pas. Car ici, rien n'a changé, l 'odeur est toujours aussi pestilentielle, la boue nous arrive encore jusqu'aux genoux, le froid, ce froid démentiel qui est de plus en plus insupportable à mesure que l'hiver approche. Quand aux Boches, eux, ils continuent de nous canarder, et à se faire canarder d'ailleurs. Ils ont failli avoir Boris, ces salauds, l 'obus est pas passé loin, mais il a juste reçu un éclat dans le bras. Il a fait un tour à l 'infirmerie et il est revenu le lendemain, frais comme un gardon, ou presque. D'ailleurs il est en train de discuter avec Louis, qui a reçu de sa mère un bouteille de Bourgogne qui est plutôt pas mauvaise, mais de toute façon,tout ce qu'on reçoit est meilleur que la bouffe qu'on nous sert dans ce trou : de la soupe à l'eau et du pain dur, et ce pinard, rien que pour cela, tu es mieux à l'hôpital. Heureusement qu'elle existe, la mère de Louis; depuis qu'il lui a parlé de nous, elle envoie la dose triple de chocolat ou de biscuits et on se remplit la panse !
Ici, l'ambiance est tendue et nous avons tous peur du lendemain, mon regard vient de s'attarder sur deux gars qui se disputent à côté du tas de cadavres durs, bleus et puants . Ah, cette guerre elle en fait sortir des injures, quelle connerie ! Et aucun respect pour les morts ces deux abrutis, ça m'étonne qu'ils se soient pas encore fait descendre, tiens !
Tu sais, il y a des moments où j'espère être blessé, comme toi. Rentrer à Paris, te rejoindre là-bas, à l'hôpital, et ne plus jamais entendre parler de cet endroit maudit, de la boue, du froid, de cette odeur de mort qui flotte dans l'air, nous rappelant à chacun qu'elle nous attend, derrière les barbelés, ou dans nos propres tranchées,