Ogien_Devoirs_moraux_envers_soi 1
SEULEMENT ENVERS AUTRUI?
L’idée d’asymétrie morale
Mon point de départ, c’est l’idée qu’il existe une asymétrie morale entre le rapport de soi à soi et le rapport de soi à autrui : seul le rapport à autrui a une valeur ou une importance morale.
Mais qu’est-ce que l’asymétrie morale exactement ?
Pensez à Van Gogh. Tout le monde, je crois, aura tendance à juger que si Van
Gogh avait arraché gratuitement l’oreille d’un passant au lieu de se couper la sienne, il y aurait eu une certaine différence morale. À première vue, le fait de se couper l’oreille n’a pas la même importance morale que l’agression gratuite du passant. On peut même aller jusqu’à dire, c’est mon idée du moins, qu’il n’a aucune importance morale.
Ou pensez plutôt au cas du suicide, moins manifestement pathologique. Les philosophes qui défendent la symétrie morale entre le rapport à soi et le rapport aux autres diront qu’il n’y a absolument aucune différence morale entre le suicide et le meurtre. Ils iront contre une intuition largement partagée aujourd’hui qui nous empêche de mettre les deux actes sur le même plan.
Cette intuition, c’est précisément qu’il existe une asymétrie morale entre ce que nous faisons aux autres et ce que nous nous faisons à nous-mêmes.
Mais qu’est-ce qui la justifie ?
La première réponse qui pourrait venir à l’esprit c’est, tout simplement, que la morale ne concerne que les autres par définition. Mais on pourrait contester cette explication en faisant valoir que, dans les trois théories morales les plus débattues, kantisme, utilitarisme, éthique des vertus, cette asymétrie n’existe pas.1 1
Michael Slote, « Some Advantages of Virtue Ethics » in From Morality to Virtue, Oxford,
Oxford University Press, 1992, p. 3- 21 qui donne la prime de la symétrie morale à l’éthique des vertus ; et mon « Self-other asymmetry », Ateliers de l’éthique, 2008, 3, 1, p. 79-89, où j’essaie de montrer que le kantisme et l’utilitarisme prônent