Commentaire : « Paquebot », Jules Supervielle
Dès la fin du xixe siècle, la poésie moderne se choisit de nouvelles sources d'inspiration, et l'écriture poétique du voyage célèbre souvent, et de façon enthousiaste, les moyens de transport qui permettent ces déplacements. Jules Supervielle, dans son recueil poétique Débarcadères (1921), intitule donc son poème « Paquebot ». Mais celui-ci, composé de cinq strophes en vers libres, évoquant dans sa diversité et sa fluidité le mouvement de la mer, s'il décrit le voyage entre l'Amérique et l'Europe, est moins une célébration du paquebot qu'une révélation du pouvoir de l'Océan. Ainsi, l'écriture poétique révèle la fragilité, la vanité du paquebot et de l'homme, et la toute-puissance de la mer dans ce voyage, métaphore de la condition humaine. I. Le paquebot apparaît comme un morceau de terre posé sur la mer, mais c'est aussi un lieu où tout est faux, tel un décor de théâtre. a) En effet, le paquebot reproduit les éléments de l'univers terrestre à travers l'évocation des machines : ainsi, « charbon » au vers 4, « forge » et « sa flamme si terrestre » au vers 5 renvoient au minéral ou au feu, à la terre. De même, l'organisation du paquebot et les distractions proposées aux voyageurs montrent que la vie sur mer se veut une reproduction de la vie sur terre : les « cabines » (M. 6), équivalent à des chambres ou appartements, la présence d'un « salon » (M. 14), de « meubles » semblables à ceux du « continent » (v. 15), d'une « cheminée » (v. 18). Les occupations sur le bateau (« fumoir », « jeux de cartes » au vers 7 ou la lecture du journal ( v. 21) ne différent guère de celles possibles pour un homme sur la terre ferme. Ainsi, les voyageurs peuvent retrouver leurs repères habituels, même dans un lieu différent ; ils peuvent jouer la même vie que sur terre. b) Mais le poète montre aussi que ce lieu n'est qu'un décor de théâtre : tout veut ressembler à la terre, mais tout est faux. Au vers 14, le verbe « feindre » et le terme «