Personnages de l'illusion comique
Pierre Louÿs
Publication: 1898 Source : Livres & Ebooks
Comment un mot écrit sur une coquille d’œuf tint lieu de deux billets tour à tour.
Comment un mot écrit sur une coquille d’œuf tint lieu de deux billets tour à tour Le carnaval d’Espagne ne se termine pas, comme le nôtre, à huit heures du matin le mercredi des Cendres. Sur la gaieté merveilleuse de Séville, le memento quia pulvis es ne répand que pour quatre jours son odeur de sépulture ; et, le premier dimanche de
carême, tout le carnaval ressuscite. C’est le Domingo de Piñatas, le dimanche des Marmites, la Grande Fête. Toute la ville populaire a changé de costume et l’on voit courir par les rues des loques rouges, bleues, vertes, jaunes ou roses qui ont été des moustiquaires, des rideaux ou des jupons de femme et qui flottent au soleil sur les petits corps bruns d’une marmaille hurlante et multicolore. Les enfants se groupent de toutes parts en bataillons tumultueux qui brandissent une chiffe au bout d’un bâton et conquièrent à grands cris les ruelles sous l’incognito d’un loup de toile, d’où la joie des yeux s’échappe par deux trous. "¡ Anda !¡ Hombre ! que no me conoce !" crient-ils, et la foule des grandes personnes s’écarte devant cette terrible invasion masquée. Aux fenêtres, aux miradores, se pressent d’innombrables têtes brunes. Toutes les jeunes filles de la contrée sont venues ce jour-là dans Séville, et elles penchent sous la lumière leurs têtes chargées de cheveux pesants. Les papelillos tombent comme la neige. L’ombre des éventails teinte de bleu pâle les petites joues poudrerizées. Des cris, des appels, des rires bourdonnent ou glapissent dans les rues étroites. Quelques milliers d’habitants font, ce jour de carnaval, plus de bruit que Paris tout entier. Or, le 23 février 1896, dimanche de Piñatas, André Stévenol voyait approcher la fin du
carnaval de Séville, avec un léger sentiment de dépit, car cette semaine essentiellement amoureuse ne lui avait procuré