Peut-on apprendre à penser?

Introduction

On dit généralement que le pur « don » n’existe pas, et qu’au contraire tout s’apprend. Il n’y aurait pas d’incapacité logique ou matérielle qui nous Interdirait d’apprendre un savoir ou un savoir-faire : tout serait en droit susceptible d’être appris ou enseigné, pour peu que l’on fournisse un travail intellectuel (au moins de mémorisation). Dans la mesure où tout apprentissage présuppose ce travail intellectuel, n’est-il pas para¬doxal de dire que l’on peut apprendre à penser, puisque penser consiste déjà en une activité intellectuelle? De plus, la pensée véritable, convaincue, ne peut être qu’une pensée dite « personnelle ». Elle ne pourrait donc pas être apprise ni enseignée, étant donné que l’appren¬tissage implique un maître et un élève. Pourtant, on confère à la péda¬gogie un rôle éducatif qui doit précisément mener à développer la liberté d’esprit. De fait, on pourrait donc apprendre à penser librement.
D’où le problème : si penser est une activité subjective, de sorte qu’une pensée véritable est nécessairement «notre» pensée, n’est-il pas logi¬quement impossible d’apprendre à penser, dans la mesure où tout apprentissage implique une certaine docilité par rapport à un maître? Ou au contraire, penser implique-t-il un travail et une démarche volontaires — de quête de la vérité ou du sens —, qui supposent que l’on nous éduque afin de développer en nous un esprit curieux et libre, de sorte qu’apprendre à penser serait non seulement une possibilité, mais encore un devoir?

1. Non, on ne peut pas apprendre à penser

A. Penser, c’est avoir des idées «en tête», des représentations men¬tales. Elles naissent spontanément en nous: on ne saurait donc les apprendre ou les acquérir de quelqu’un. Lorsque l’on pense, on élabore des jugements, des opinions, des convictions, qui comme telles sont personnelles. Dans la mesure où l’apprentissage se conçoit comme un enseignement, penser ne saurait être l’objet d’une