Peut-on condamner un baiser sur une toile
L'artiste cambodgienne Rindy Sam a commis, le 19 juillet, à la Galerie Lambert d'Avignon, sur une toile de l'artiste américain Cy Twombly, un geste inouï. Subjuguée en entrant dans la salle où se trouvait un triptyque consacré au Phèdre de Platon autour du Symposium [le Banquet], elle s'est approchée d'une toile immaculée, s'est exposée en écartant les bras. Puis, confie-t-elle, à La Provence : « J'ai déposé un baiser. Une empreinte rouge est restée sur la toile. Je me suis reculée et j'ai trouvé que le tableau était encore plus beau... Vous savez, dans cette salle vouée aux dieux grecs, c'était comme si j'étais bercée, poussée par les dieux... Cette tache rouge sur l'écume blanche est le témoignage de cet instant ; du pouvoir de l'art. » Rindy affirme avoir ainsi vécu un acte d'amour d'une grande pureté qu'elle a traduit par ce geste artistique. La galerie a immédiatement porté plainte pour... vandalisme sur cette toile blanche estimée à... 2 millions d'euros. L'artiste a passé la nuit en garde à vue, dans le froid et la saleté d'un cachot, et sera convoquée devant les tribunaux dans les semaines à venir.
Acte troublant à plus d'un titre, tant il interroge la frontière qui sépare le monde des hommes du monde des dieux ou, si l'on veut parler en termes kantiens, ce qui relève du déterminable de ce qui n'en relève pas.
Le Larousse dit du vandalisme qu'il s'agit d '« un état d'esprit qui consiste à détruire ou mutiler les belles choses et en particulier les oeuvres d'art ». Or rien dans les déclarations de l'artiste ne laisse entrevoir le projet de détériorer, bien au contraire. Il y a dans le geste de Rindy la gratuité d'un acte pris dans toute sa pureté : ni préméditation ni mise en scène médiatique, le seul témoignage demeurant les bandes de vidéosurveillance, dont il conviendra de déterminer par la suite leur statut : pièces à conviction ou