Peut-on être indifférent à la vérité
Heidegger et l’être du On
PAR CHRISTOPHE PERRIN
Université de Lille 3 – Université de Paris 4
Résumé Motif déterminant de l’analytique existentiale, le On — das Man — n’est jamais interrogé pour lui-même par les commentateurs de Heidegger ; il fait pourtant de leur part l’objet d’interprétations non seulement très contrastées, mais encore fort éloignées de ce que le penseur allemand semblait avoir envisagé en menant son analyse. D’où la nécessité d’en faire le sujet central d’une réflexion qui, en contrepoint des lectures historiquement situées et scientifiquement orientées, entend éclairer l’être qui est le sien en le ramenant à son statut d’existential d’un Dasein dont il constitue, toujours et d’emblée, l’ombre portée. D’un pronom à un nom Si à la question « que suis-je ? », Heidegger, on le sait, répond dans Sein und Zeit, en visant par là l’être de l’homme en général, que je suis un Dasein, mieux, que je suis le Dasein — Dasein étant le nom de l’étant que je suis, un étant particulier dans la sphère des étants qui possède, outre un certain privilège, des déterminations spécifiques —, à la question « qui suis-je ? », Heidegger répond pourtant que je ne suis pas ordinairement moi-même, dans la mesure où je suis toujours et avant tout On :
De prime abord, « je » ne « suis » pas au sens du Soi-même propre, mais je suis les autres selon la guise du On. C’est à partir de celui-ci et comme celui-
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ci que, de prime abord, je suis « donné » à « moi-même ». Le Dasein est de prime abord On et le plus souvent, il demeure tel 1 .
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À en croire Heidegger, On est donc d’une certaine façon mon prénom puisque c’est lui qui me désigne d’emblée. Mais comment passe-t-on d’un pronom, somme toute banal, de la langue usuelle, au nom pour le moins original d’un des motifs essentiels de l’analytique existentiale ? Précisons que ne pas être soi-même s’entend généralement