Piece - t. binkley
« Pièce » : contre l’esthétique
De quoi parle cette « pièce » ?
1. En son sens le plus général, le terme « esthétique » se réfère à la philosophie de l’art. Selon cette optique, tout écrit théorique sur l’art se situe dans le domaine de l’esthétique. Mais le terme a encore un autre sens, plus spécifique et plus important, qui a trait à un type particulier de recherche théorique née au xvme siècle à la suite de l’invention de la notion de « faculté de goût ». Prise en ce sens, l’esthétique est l’étude d’une activité humaine spécifique faisant intervenir la perception de qualités esthétiques telles que la beauté, la sérénité, l’expressivité, l’unité et l’animation. Bien que souvent elle se fasse passer pour une (ou même la) philosophie de l’art, l’esthétique ainsi définie ne traite pas uniquement de l’art : elle étudie un certain type d’expérience humaine (l’expérience esthétique) qui peut être suscitée par des œ uvres d’art, mais également par la nature ou des artefacts non artistiques. En général, on considère que cette différence de sens est négligeable et on s’en débarrasse en affirmant que, même si l’esthétique ne s’occupe pas exclusivement de l’art, du moins l’art est concerné au
* Publié originellement dans The Journal of Aesthetks and Art Criticism, vol. 35, 1977, p. 265-277; traduction française, Poétique 79, septembre 1989.
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Timothy Binkley
premier chef par la problématique esthétique. Or, cette affirmation elle aussi est erronée, et le but de cette « pièce » est de montrer pour quelle raison. Le fait de relever du domaine des objets de l’esthétique (au second sens du terme) n’est ni une condition suffisante ni une condition nécessaire pour être de l’art. 2. Un jour, Robert Rauschenberg effaça un dessin de De Kooning et l’exposa sous le titre Dessin de De Kooning effacé. A la suite de l’intervention de Rauschenberg, les propriétés esthétiques de l’œuvre originale n’existent plus. Pourtant le résultat n’est pas une non-œ