Politique
“ Il est pourtant vrai, nul n’en peut douter, qu’il est bien plus utile aux hommes de vivre selon les lois et prescriptions déterminées de notre raison qui, nous l’avons dit, ne visent que ce qui est véritablement utile aux hommes. En outre, chacun désire vivre, autant que faire se peut, en sécurité et à l’abri de la crainte ; ce qui pourtant ne peut guère avoir lieu tant que chacun aura loisir de tout faire à son gré et qu’on ne concédera pas à la raison davantage de droit qu’à la haine et à la colère. Car nul ne peut vivre sans angoisse au milieu des inimitiés, des haines, de la colère et des ruses, et sans s‘efforcer de les éviter autant qu’il peut. Si nous considérons également que, sans un secours mutuel, les hommes vivraient nécessairement de façon très misérable et sans pouvoir cultiver la raison, comme nous l’avons montré au chapitre V nous verrons très clairement que, pour vivre en sécurité et le mieux possible, ils ont nécessairement dû s’accorder mutuellement et que, pour y parvenir, ils ont dû faire en sorte que le droit que chacun avait par nature sur toutes choses soit exercé collectivement et ne soit plus déterminé désormais par la force et l’appétit de chacun, mais par la puissance et la volonté de tous ensemble. Ils l’eussent cependant tenté en vain s’ils n’avaient voulu suivre que les conseils de l’appétit car les lois de l’appétit entraînent chacun de côtés opposés ; ils ont donc dû stipuler et promettre très fermement de tout diriger selon le seul commandement de la raison ( que personne n’ose contredire ouvertement de peur de paraître manquer de bon sens), de réfréner l’appétit dans la mesure où il conseille quelque chose de dommageable à autrui, de ne faire à personne ce qu’il ne veut pas qui lui arrive et enfin de défendre le droit d’autrui comme si c’était le sien. ”
Traité Théologico-politique, ch. XVI, traduction Lagrée, Moreau, Paris, P.U.F., coll.