Pouvoir de l’argent et puissance romanesque chez balzac, dostoïevski et fitzgerald
NATALIA LECLERC Doctorante, Paris IV – Sorbonne
Pouvoir de l’argent et puissance romanesque chez Balzac, Dostoïevski et Fitzgerald
“Gomme on a réson t’afoir paugoup t’archant !” s’exclame le baron de Nucingen1 lorsqu’il achète la docilité d’Esther à la prétendue madame de SaintEstève. L’argent semble donner le pouvoir, mais ce pouvoir est ambigu à plusieurs titres. L’argent est entouré d’une réputation d’immoralisme, surtout quand les conditions dans lesquelles il est gagné sont suspectes. Pourtant, il peut être l’instrument d’une grandeur paradoxale qui confine au tragique. Par ailleurs, il pose la question de l’être et de l’avoir : la possession d’argent semble induire la possession du pouvoir. Mais cette possession d’argent et de pouvoir, qui relève donc de l’avoir, est-elle temporaire, comme la tradition philosophique a l’habitude de considérer l’avoir, ou transforme-t-elle les personnages dans leur être, dans leur essence ? Ces ambiguïtés sont représentées dans les trois romans qui le constituent. Dans Splendeurs et misères des courtisanes, deux figures imposantes s’affrontent : le forçat évadé Jacques Collin, alias Carlos Herrera, banquier du bagne et expert en manipulation, est à la fois le double et le négatif du second personnage, le baron de Nucingen, qui a construit sa fortune colossale sur le jeu en Bourse et souvent sur le malheur d’autrui. Un demi-siècle plus tard, dans Le Joueur, Dostoïevski peint les portraits de deux personnages contrastés et truculents. Mademoiselle Blanche, une femme de mœurs légères, tient sous sa griffe le général, et tous les hommes à qui elle prête de l’argent pour jouer à la roulette. Inversement, la grand-mère, qui apparaît d’abord comme une matriarche tyrannique, cède au pouvoir du jeu, et perd tragiquement tous ses biens. Enfin, durant les “Roaring Twenties ”, Fitzgerald crée Gatsby et de Wolfsheim, parrain et chef de file de la pègre, qui bâtissent leur fortune sur le trafic