Prendre conscience de soi est ce devenir étranger à soi ?
1818 mots
8 pages
Dans un livre dérangeant et douloureux, Après, publié à la suite de la Première Guerre mondiale, Erich Maria Remarque raconte le sort de ces très nombreux soldats allemands qui, retrouvant leur pays, après les années de mitrailles, après la défaite, après de longs séjours pour certains dans les hôpitaux, ne furent pas accueillis en héros mais plutôt en responsables de la défaite, découvrirent que la vie avait repris son cours en leur absence, qu'on n'attendait rien d'eux, qu'ils étaient « de trop », que leur longue éclipse et les horreurs vécus avaient creusé un fossé d'incompréhension entre eux et leurs compatriotes, les avaient décalés et rendus comme étrangers au pays qu'ils retrouvaient et qui était pourtant celui où ils étaient nés. Se pourrait-il qu'à l'instar de ces soldats, mais sur un plan intérieur, le fait de prendre conscience de soi, de se saisir soi-même, de revenir vers le sujet-source, s'accompagnât de ce sentiment « étrange » qui envahit celui qui, de retour chez lui, n'y reconnaît plus rien, chaque élément ayant changé de place, dissimulant tous les repères qui permettaient de trouver l'équilibre nécessaire à l'existence ? Alors qu'il croyait se connaître, l'homme peut-il ainsi redevenir « un inconnu pour lui-même » (Saint Augustin) ? N'est-il pas paradoxal de penser que l'effort fait pour mieux se connaître puisse conduire à ne plus se reconnaître ? N'est-il pas contradictoire de soutenir que la conscience qui chemine vers plus de lucidité (la prise de conscience) obscurcit, dans ce même mouvement, le sujet qu'elle est ? Cette contradiction ne peut être surmontée que dans l'hypothèse où le sujet humain, parce qu'il est en devenir, oppose la conscience qu'il avait de soi (ce qu'il croyait être) au regard qu'il porte aujourd'hui sur lui suite à un solide et honnête travail réflexif. « Non, je ne vous conduirai point dans une terre étrangère ; mais je vous apprendrai peut-être que vous êtes étranger vous-même dans votre propre pays » écrivait