Projet séquentiel : il était une fois un vieux couple heureux
Il n’était jamais puni. Son maître y tenait comme à un enfant et il le disait crûment aux persécuteurs des bêtes. Ce gentil équidé en imposait aux autres ânes, qu’il savait mettre au pas si nécessaire durant les battages de juin lors desquels on assistait à des bagarres mémorables entre animaux rendus fous par les grosses chaleurs ou par le rut que favorisait le nombre. Bouchaïb était un fin lettré. Il possédait des vieux manuscrits relatifs à la région et bien d’autres grimoires inaccessibles à l’homme ordinaire. Il fréquentait assidûment la mosquée, ne ratait pas une seule prière ; il était aux yeux de tous un croyant exemplaire qui devrait nécessairement trouver sa place au Paradis. Il tenait la comptabilité de la mosquée sur un cahier d’écolier vert. Les biens de la mosquée, à savoir les récoltes, allaient au fqih en exercice, qui en était le légitime propriétaire. À la communauté de semer, …afficher plus de contenu…
On ouvrit des chantiers, le dollar coula à flot. Les bases militaires américaines employant beaucoup de Marocains, l’arrière-pays en profita. On soignait les malades. Du jour au lendemain, le typhus disparut. Et, comme par hasard, la pluie se remit à tomber. Les campagnes reverdirent. On se remit à procréer. L’armée française engagea des jeunes qu’on envoya sur les fronts d’Europe, en Italie et ailleurs. On rendit hommage à la bravoure du Marocain tout en oubliant qu’on l’avait jusque-là méprisé. On promit même l’indépendance à Mohammed V, lorsque la Guerre serait finie, mais on oublia ce serment. L’euphorie des lendemains de la Guerre était telle qu’on recommença à traiter le colonisé de sous-homme, de turbulent et d’ignorant congénital.