Qu'est-ce qu'un héros?
Introduction : On sait que dans les années 60 et 70, réagissant à une tradition critique qui avait abusé, selon elle, du « psychologisme» et du « biographisme », l'école textualiste s'est employée à repenser sur de nouvelles bases épistémologiques la notion de personnage. C'est l'époque où, s'inspirant des formalistes russes, des sémioticiens comme Greimas et des poéticiens comme Philippe Hamon élaboraient une théorie « syntagmatique» ou « syntaxique» du personnage, le définissant avant tout comme un « actant », c'est-à-dire par sa fonction dans le déroulement temporel-causal du récit. Or, l'un des paradoxes de cette approche structuraliste est d'avoir escamoté ce personnage par excellence qu'est le héros, dont il n'est presque jamais question dans ces travaux théoriques, alors même que la Morphologie du conte (1928) de Vladimir Propp, prototype de l'analyse structurale du récit, identifiait déjà le héros parmi les sept rôles narratifs possibles. Ainsi, quand Serge Doubrovsky aborde dans sa thèse la question du héros (Corneille et la dialectique du héros, 1963), ses références ne sont pas sémiologiques mais philosophiques (l'existentialisme et la dialectique hégélienne du Maître et de l'Esclave). Si la Nouvelle Critique, au moins jusqu'aux années 80, a évité la notion de héros, préférant parler d'« actant principal » ou de « Sujet » de l'action (Greimas), c'est sans doute qu'elle était gênée par l'inévitable coloration axiologique du terme : réputé (depuis Aristote) supérieur au commun des mortels, incarnant en principe des valeurs collectives qui le haussent au rang de modèle, le héros renvoie à des codes culturels et suppose un mécanisme projectionnel (le lecteur s'identifiant à lui) propres à embarrasser l'épistémologie résolument immanentiste des structuralistes, hostile à toute référence à un hors texte. Or, au-delà des questions de méthode, ces deux pôles du héros – simple protagoniste ou figure véritablement héroïque, vouée au