Aujourd'hui, en Belgique, Antigone s'appelle Aïcha et sa sœur, Yasmina. Leurs parents sont morts, victimes d'une tragédie effroyable. Leurs frères Hassan et Nordin viennent de s'entretuer en faisant exploser accidentellement une grenade. Ont-ils sombré dans le terrorisme ? Hassan a- t-il voulu arracher à Nordin la grenade destinée à un attentat ? Ou bien est-ce Nordin qui n'a pas supporté qu’Hassan joue au héros ? Personne ne peut le dire et la question n'est pas là. La structure qui impose et qui réglemente aujourd'hui la conduite de ces orphelins, c'est l'école. La direction de l'école prend des mesures absurdes, décrétant que nul ne peut assister à l'enterrement de Nordin, déclaré coupable sans aucune forme de procès. Même ses sœurs sont interdites de funérailles. Aïcha se révolte : elle tient tête au direc- teur de l'école. Partout dans le lycée qui accueillait hier encore les quatre enfants, elle affiche des photocopies d'une photo de son frère, dresse un autel, avec des fleurs, des bougies, et, ultime provo- cation, elle décide de porter désormais le foulard : la direction de l'école prévoit le renvoi immédiat et définitif de toute personne qui porte des signes religieux, y compris le foulard islamique. Le combat entre Aïcha et le directeur de l'école qui a inventé ce règlement interne absurde (aucune loi du pays ne justifie alors cette décision) vaut celui qui opposait Antigone et Créon. Sous couvert de justice, le directeur essaye surtout de préserver l'image de son école et d'empêcher qu'une adolescente, une femme, ait raison contre lui. Et cependant... Le chœur antique, à présent, c'est la télévision. Au cours des quelques jours qui suivent le drame, les médias ponctuent l'événement, le racontent, tentent de l'ex- pliquer en ayant recours au témoignage tantôt de proches de la famille, tantôt de condisciples, tantôt de spécialistes. »44