Rhinoceros
transformation mentale de toute une collectivité: les valeurs anciennes se dégradent. sont bouleversées, d'autres naissent et s'imposent. Un homme assiste impuissant à la transformation de son monde contre laquelle il ne peut rien, il ne sait plus s'il a raison ou non, il débat sans espoir, il est le dernier de son espèce. II est perdu.
La pièce présente donc un rythme très soutenu, faisant alterner des dialogues restreints à deux ou trois personnages (voire un monologue) et des passages mouvementés. Les conversations collectives regroupent de nombreux personnages qui symbolisent l'opinion publique et ses vagues successives. L’irruption des rhinocéros perturbe ces échanges ; ils prolifèrent peu à peu tandis que les personnages humains disparaissent un à un. L'auteur Se focalise donc tour à tour sur l'unité - le personnage de Bérenger en crise, la transformation inéluctable de Jean - et sur la multiplicité d'une société peu à peu unifiée car gagnée par le désordre, la folie contagieuse. Le dernier acte est remarquable car il souligne la solitude du " résistant " qui voit, inexorablement, ses derniers compagnons l'abandonner.
Le fantastique et l'humour s'affirment également comme outils de dénonciation d'une réalité pesante et stéréotypée, où les habitudes ont force de lois. Les êtres qui se métamorphosent en rhinocéros nous rappellent l'angoissant univers kafkaïen (auquel Ionesco lui-même s'est référé dans ses Entretiens avec Claude Bonnefoy). Ils figurent les monstrueuses tensions latentes de l'individu et sa déshumanisation, sous l'influence, notamment, de la pression collective. En outre, le comique, gestuel ou verbal, tourne en dérision des comportements et des valeurs communément partagés : tels l'Épicier et son sordide souci égoïste de l'argent ou le " chef ", ou encore le Vieux Monsieur empressé auprès de la Ménagère. Ces êtres utilisent fréquemment des clichés qui illustrent l'aliénation de l'individu par le langage.