Rien de spécial
D’abord il se fait désirer.
Il donne un rendez-vous. Toujours loin dans le temps. Toujours incertain. Car, pour se rendre précieux, il a fait courir la rumeur que ses nombreuses responsabilités le contraignent parfois d’annuler. C’est faux mais qui le sait ? Du coup, ce n’est plus Hitler qui attend la foule mais la foule qui attend Hitler. Qui l’espère.
Le jour dit, il met en scène son apparition. Il exige que le lieu de réunion quel qu’il soit, ait perdu son aspect ordinaire ; des drapeaux, des bannières, des rangées de chaises, des pyramides de tribunes, des haut-parleurs, des projecteurs lui ont ôté son aspect habituel ; la foule entre dans un quotidien métamorphosé, embelli, réenchanté. Ensuite, il se fait attendre. Il organise avec précision son retard. Il a calculé le temps exact nécessaire à une foule pour devenir tendue, impatiente, sans être bafouée ni furieuse. Il sait alors entrer rapidement et bondir sur la tribune elle une solution.
Il bouge vite. Ses gestes sont précis, nerveux. Il sait qu’il doit surprendre par son énergie. La foule ne le connaît que par ses effigies, ses photographies lentes et silencieuses, élaborées avec son ami Hoffmann, qui le font paraître noble et pensif. Maintenant, il doit, en quelques secondes, montrer les qualités opposées. C’est à ce prix-là qu’on fascine, à ce prix-là qu’on est une star. Il le sait, il a étudié les vedettes de cinéma. Seule la cohabitation des extrêmes dans une même personne entretient l’appétit de la foule. Greta Garbo règne sur le monde car sa beauté hautaine, polie, digne d’une statue antique, est contredite par ses gestes embarrassés de femme trop grande qui a honte de dominer, ces pas de danseuse aladroite qui va tomber, ses regards émus d’être trop sensible, sa nuque d’oiseau blessé. Hitler travaille dans les même zones de contraste : après avoir imposé l’image d’un visionnaire calme aux yeux d’azur, au physique alangui, perdu dans des rêveries sublimes, il va monter, en char et on