Rousseau dissertation sur la musique moderne
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Dissertation sur la musique moderne
(1743) Immutat animus ad pristina. Lucr. I. Préface S'il est vrai que les circonstances et les préjugés décident souvent du sort d'un ouvrage, jamais auteur n'a dű plus craindre que moi. Le public est aujourd'hui si indisposé contre tout ce qui s'appelle nouveauté ; si rebuté de systčmes et de projets, surtout en fait de musique, qu'il n'est plus gučre possible de lui rien offrir en ce genre sans s'exposer ŕ l'effet de ses premiers mouvements, c'est-ŕdire, ŕ se voir condamné sans ętre entendu. D'ailleurs, il faudrait surmonter tant d'obstacles, réunis non par la raison, mais par l'habitude et les préjugés bein plus forts qu'elle, qu'il ne paraît pas possible de forcer de si puissantes barričres; n'avoir que la raison pour soi, ce n'est pas combattre ŕ armes égales, les préjugés sont presque toujours sűrs d'en triompher, et je ne connais que le seul intéręt capable de les vaincre ŕ son tour. Je serais rassuré par cette derničre considération, si le public était toujours bien attentif ŕ juger de ses vrais intéręts : mais il est pour l'ordinaire assez nonchalant pour en laisser la direction ŕ gens qui en ont de tout opposés, et il aime mieux se plaindre éternellement d'ętre mal servi, que de se donner des soins pour l'ętre mieux. C'est précisément ce qui arrive dans la musique ; on se récrie sur la longueur des maîtres et sur la difficulté de l'art. et l'on rebute ceux qui proposent de l'éclaircir et de l'abréger. Tout le monde convient que les caractčres de la musique sont dans un état d'imperfection peu proportionné aux progrčs qu'on a faits dans les autres parties de cet art : cependant on se défend contre toute proposition de les refermer comme contre un danger affreux : imaginer d'autres signes que ceux dont s'est servi le divin Lully, est non seulement la plus haute extravagance dont l'esprit humain soit capable, mais c'est encore une espčce de sacrilčge. Lully