Salomon gessner, un rousseau discret
Certains individus savent, tout au long de leur vie, être des passerelles. Entre les cultures, entre les diverses formes de savoir, entre les époques. Souvent, c'est parce que ce sont de talents multiples, la nature et leur milieux leur ont permis de, ou les ont forcés à, développer la multiplicité de leurs dons. Au XXe-XXIe siècle nous sommes habitués à en rencontrer: des comédiens qui se révèlent être aussi écrivains, couturiers, banquiers, des hommes d’affaires qui deviennent aussi poètes, comédiens, historiens, des écrivains qui oeuvrent aussi en tant que cinéastes ou peintres, et ainsi de suite. Mais avant le XXe siècle, la pensée dominante disait qu’un homme naissait dans la profession paternelle, qu’il adoptait et à laquelle il se consacrait toute sa vie. Cela ne se discutait pas, du moins en public. En privé, certains fils s’arrangeaient, et finissaient par transcender le cadre familial et présenter au monde à la fois le visage convenu que l’on attendait d’eux, et un visage nouveau, inattendu, et souvent très original.
Salomon Gessner est de ceux-là.
Aujourd’hui, hors de Zurich, pratiquement plus personne ne sait qui il est. Pendant la deuxième moitié du dix-huitième siècle, c’était une star internationale de la littérature et (dans une moindre mesure) de la peinture.
Salomon Gessner, poète
Il était né à Zurich le 1er avril 1730, fils d’un imprimeur-éditeur-libraire, et une fois adolescent il a, tout naturellement, commencé un apprentissage de libraire, mais à Berlin plutôt qu’à Zurich. Au bout d’un an environ, il a interrompu cet apprentissage dicté par la tradition et a commencé à peindre. Il a passé de Berlin à Hambourg, où il a rencontré un des maîtres allemands de la peinture d’alors, Karl Wilhelm Ramler, avec qui il a commencé à dessiner et à peindre.
Il est bientôt revenu à Zurich. Aucune envie de travailler dans l’entreprise paternelle: ce jeune homme-là préférait peindre, écrire les sentiments dont