Souffrance
Je n’ai plus la force, plus la foi. Je n’ai plus la force de bouger, de résister et d’endurer. J’abandonne ce corps qui, il y a longtemps, m’a abandonné. Désolidarisés, ce corps et moi ne valons plus rien. Il m’est étranger. Je ne le connais pas, il ne m’appartient pas. Je veux m’en détacher, m’en extraire. Un parfum médiocre tente désespérément de le ranimer, mais cet effluve trop sucré dont je suis écœurée semble être proche d’abdiquer. Plus la peine de chialer, cette bouche a appris à se taire. Opprobre, elle est close et bourrée de regrets. Cette haleine de honte, ces dents encrassées et cette langue poreuse et usée ne veulent plus être exposées, elles en ont eu assez. Cette cave sale où trop de pilules ont circulé, que trop de cigarettes ont visitée et trop de langues ont transgressée. Elle rêve d’être cadenassée, mais ne peut se barricader. Pour le moment, elle est comme le reste du corps auquel elle appartient, couchée sur ce matelas défraîchi dans ce lieu insalubre. Je le sens chaud contre mon visage, il est mouillé et il empeste. Il est imprégné d’humidité et s’en exhale aussi un relent de sueur et d’eau de colonne du dernier venu; ce salaud d’Italien. Il m’a fait mal hier, ils me font tous mal. L’Autre aussi. D’ailleurs, l’Autre devrait arriver sous peu. Il vient tous les matins récolter ce qui lui appartient. Il n’y manque jamais. On entend ses moteurs assourdissants lorsqu’il parcourt le champ et après c’est lui, braillard, qu’on entend lorsqu’il patrouille tous les lits. Quelquefois, il se fâche et les frappe, ou parfois c’est moi qu’il frappe. D’autres fois, il est cajoleur et vient me baiser avant de repartir avec presque tout mon pognon. Il ne part jamais sans me laisser quelque chose. De ces temps-ci, ce sont les pilules multicolores. Il dit que je manque de « jus » et qu’elles vont me stimuler, mais je ne les prendrai pas. Il était fâché hier, il ne m’a rien laissé de ce que j’avais fait la veille. Il dit que je ne me force plus.