Stupeur et tremblements
Lecture analytique Excipit (Ghislaine Zaneboni)
(Le livre de poche pp. fin , Albin Michel pp. 172, 175)
Le matin du 7 janvier, je ne pouvais pas y croire : j'avais tant attendu cette date. Il me semblait que j'étais chez Yumimoto depuis dix ans.
Je passai ma journée aux commodités du quarante-quatrième étage dans une atmosphère de religiosité : j'effectuais les moindres gestes avec la solennité d'un sacerdoce. Je regrettais presque de ne pouvoir vérifier le mot de la vieille carmélite : « Au Carmel, ce sont les trente premières années qui sont difficiles. »
Vers dix-huit heures, après m'être lavé les mains, j'allai serrer celles de quelques individus qui, à des titres divers, m'avaient laissé entendre qu'ils me considéraient comme un être humain. La main de Fubuki ne fut pas du lot. Je le regrettai, d'autant que je n'éprouvais envers elle aucune rancune : ce fut par amour-propre que je me contraignis à ne pas la saluer. Par la suite, je trouvai cette attitude stupide : préférer son orgueil à la contemplation d'un visage exceptionnel, c'était un mauvais calcul.
A dix-huit heures trente, je retournai une dernière fois au Carmel. Les toilettes pour dames étaient désertes. La laideur de l'éclairage au néon ne m'empêcha pas d'avoir le cœur serré : sept mois - de ma vie ? non ; de mon temps sur cette planète - s'étaient écoulés ici. Pas de quoi être nostalgique. Et pourtant ma gorge se nouait.
D'instinct, je marchai vers la fenêtre. Je collai mon front à la vitre et je sus que c'était cela qui me manquerait : il n'était pas donné à tout le monde de dominer la ville du haut du quarante-quatrième étage.
La fenêtre était la frontière entre la lumière horrible et l'admirable obscurité, entre les cabinets et l'infini, entre l'hygiénique et l'impossible à laver, entre la chasse d'eau et le ciel.
Aussi longtemps qu'il existerait des fenêtres, le moindre humain de la terre aurait sa part de