Tabous et enjeux autour de l'ethnicité maghrébine
Par Vincent Geisser, Schérazade Kelfaoui,
Lundi 27 Mars 2006, Source original de l’article : Revue Européenne des Migrations Internationales, volume 14, n° 2, 1998, p. 19-32.
Ethnicité et politique en France : les « liaisons dangereuses »
La relation entre ethnicité et politique suscite encore aujourd'hui de nombreuses réticences et résistances dans le champ des sciences sociales, évoquant pour la majorité des chercheurs français la résurgence d'une anthropologie passéiste, inapte à décrire la « réalité hexagonale ». Cette posture normative explique le faible développement des études sur les rapports inter-ethniques et sur le rôle des institutions publiques dans la « production quotidienne » d'ethnicité. À de rares exceptions près1 , les intellectuels français préfèrent se réfugier dans la fiction d'une « spécificité radicale » du modèle républicain, l'associant à l'idée d'une supériorité de notre système d'intégration sur celui de nos voisins européens. Au-delà des querelles d'écoles, des conflits paradigmatiques et de la remise en cause des grands systèmes explicatifs2 , il se dégage un certain unanimisme pour célébrer les vertus de l'intégration à la française et diaboliser dans un même élan les expériences étrangères. Le comparatisme à l'échelle européenne n'est sollicité que pour mieux souligner le bien-fondé moral et idéologique de notre entreprise national-étatique et mettre en garde les « politiques » quant aux risques d'anglo-saxonnisation de notre corps social3. Le discours récurrent sur la Nation4 , tant dans sa version « national-patriote » que dans sa version « multiculturaliste tempérée » paraît fonctionner chez les intellectuels français comme une forme de compensation symbolique au sentiment d'impuissance face à la crise économique. Nous retrouvons d'ailleurs cette tendance « lourde » dans l'approche tourainienne de l'ethnicité qui traite celle-ci