Texte complementaire
La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, ( sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente). Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable… Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.
Francis Ponge - Le parti pris des choses (1942)
Biographie : Né à Montpellier en 1899, Francis Ponge est issu d’une famille protestante. Il fait des études brillantes avant de se présenter au concours de l’Ecole Normale Supérieure où il échouera à l’oral. Francis Ponge se dit lui-même de la génération surréaliste mais s’il partage certains principes, il restera en retrait par rapport à cette doctrine. A la fin de la première guerre mondiale, il adhère au parti socialiste et entre chez Gallimard suite à sa rencontre avec Paulhan.
En 1926, il publie Douze Petits Ecrits que l’on peut définir comme le fondement de sa poétique. Alliant un travail poussé de la forme et une satire sociale, l’auteur joue avec les formes déjà consacrées de la littérature telles que la satire ou l’apologue. Il s’agit de transcender la distinction vers/prose et de refuser l’emploi du mot poème. En 1937, il entre au Parti Communiste Français et en 1942, il publie Le Parti Pris des Choses qui marque son entrée