1. Dans ce texte, Bachelard énonce d'emblée la thèse qui est la sienne : « La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. » En d'autres termes, la science s'oppose à l'opinion aussi bien dans ses buts que dans ses fondements : au regard de l'exigence scientifique alors, l'opinion a « en droit, toujours tort », si du moins il peut lui arriver d'être vraie dans les faits. Cependant, quand une opinion est vraie, ce n'est jamais que par hasard : en son fondement, « l'opinion traduit des besoins en connaissance ». L'opinion ne vise pas le vrai, mais ce qu'il est utile de croire ou ce que j'ai besoin de croire ; aussi « elle ne pense pas », c'est-à-dire qu'elle ne démontre rien : une opinion s'affirme, elle ne ressent pas la nécessité de se prouver, elle se pose comme une conviction absolue et donc aussi ne réclamant aucune justification. Ce pourquoi il ne suffit pas de réformer l'opinion, de la corriger sur certains points où elle s'avérerait fausse : il faut « la détruire ». Elle n'est pas une étape préparatoire à la connaissance, elle est un « obstacle » qui doit être surmonté. C'est ici que nous mesurons l'écart entre l'opinion et la science, écart qui les rend incompatibles : l'opinion préjuge, la science suspend le jugement tant qu'elle n'a pas démontré.
Là est la difficulté : le meilleur moyen de ne pas poser une question, c'est encore de croire avoir déjà la réponse. En nous faisant croire que nous savons, alors que nous ne faisons qu'affirmer une conviction subjective, l'opinion empêche les interrogations véritables de se poser ; or c'est de ces interrogations que la science naît : la science a pour but de répondre par la connaissance et la démonstration à des questions qui se posent effectivement, et l'opinion les empêche de se poser. Pour l'opinion, rien ne fait problème, tout est déjà certain, tout est déjà clair, toute question est d'emblée superflue. Pour la science en revanche « rien ne va de soi », rien