Theatre de la cruaute
Le substantif « cruor », en latin, désigne le sang rouge, le sang qui coule. L’adjectif « crudelis » s’emploie pour caractériser celui qui aime à faire couler le sang. Quand on lit une telle expression « théâtre de la cruauté », on peut penser qu’il y sera question de théâtre sanglant, à l’image de certains films de cinéma ; ou si l’on préfère rester dans le domaine de la scène, du « grand guignol » - ce théâtre populaire qu’affectionnait A. Breton (il en parle dans Nadja), et qui mêlait volontiers mélodrame et violence.
Pourtant, cette notion est complexe. C’est A. Artaud, poète, acteur, dramaturge, théoricien éminent, qui, dans Le théâtre et son double, a décrit, expliqué, ce qu’était, à ses yeux, un tel théâtre. Dans sa Lettre sur la cruauté (1932), dans Le théâtre et la cruauté (1933) et les deux manifestes de 1933 portant le titre de Le théâtre de la cruauté, il a, en effet, exposé ses idées originales pour une renaissance de cet art. Néanmoins, tout Le théâtre et son double témoigne de cette nouvelle vision du théâtre et l’on s’aperçoit que l’expression « théâtre de la cruauté » s’avère être un pléonasme, dans la mesure où, pour Artaud, le théâtre n’est pas possible sans un élément de cruauté. Théâtre et cruauté sont intrinsèquement liés.
Certes, Artaud doit à Gaston Baty, metteur en scène et théoricien lui aussi, l’idée de refuser, sur la scène, la primauté du texte, caractéristique du théâtre occidental depuis l’Antiquité grecque. Le russe Meyerhold a soutenu avant lui que le théâtre était avant tout un spectacle, dans lequel tout ce qui s’adresse aux sens – spécialement le geste et la danse – devait être utilisé pour exprimer la vision du monde de l’auteur et du metteur en scène – étant entendu qu’il y aurait intérêt à ce qu’il s’agît du même homme. Mais Artaud a été, cependant, le premier à rompre violemment avec le théâtre d’inspiration réaliste