Thérèse raquin
Il rabattit le col de sa chemise et regarda la plaie dans un méchant miroir de quinze sous accroché au mur. Cette plaie faisait un trou rouge, large comme une pièce de deux sous ; la peau avait été arrachée, la chair se montrait, rosâtre, avec des taches noires ; des filets de sang avaient coulé jusqu’à l’épaule, en minces traînées qui s’écaillaient. Sur le cou blanc, la morsure paraissait d’un brun sourd et puissant ; elle se trouvait à droite, au-dessous de l’oreille. Laurent, le dos courbé, le cou tendu, regardait, et le miroir verdâtre donnait à sa face une grimace atroce.
Il se lava à grande eau, satisfait de son examen, se disant que la blessure serait cicatrisée au bout de quelques jours. Puis il s’habilla et se rendit à son bureau, tranquillement, comme à l’ordinaire. Il y conta l’accident d’une voix émue. Lorsque ses collègues eurent lu le fait divers qui courait la presse, il devint un véritable héros. Pendant une semaine, les employés du chemin de fer d’Orléans n’eurent pas d’autre sujet de conversation : ils étaient tout fiers qu’un des leurs se fût noyé. Grivet ne tarissait pas sur l’imprudence qu’il y a à s’aventurer en pleine Seine, quand il est si facile de regarder couler l’eau en traversant les ponts.
Il restait à Laurent une inquiétude sourde. Le décès de Camille n’avait pu être constaté officiellement. Le mari de Thérèse était bien mort, mais le meurtrier aurait voulu retrouver son