Ville 3vitesses-donzelot
« La ville ne fait plus société », disions-nous dans un article précédent1. La formule est apparue à certains comme plus accrocheuse que sérieuse. Quand la ville aurait-elle justement fait société ? Durant l’ère industrielle ? Elle résonnait alors du conflit des classes, de leur confrontation sur le lieu de travail tandis que leur séparation dans les lieux d’habitat ne pouvait qu’ajouter l’irritation de la mise à distance aux affrontements dans l’usine et ruiner tout sentiment d’appartenance à un même collectif. Sous l’Ancien Régime ? Sans doute les villes offraient-elles alors le spectacle d’une grande variété de conditions à travers la bigarrure des habits propres à chaque catégorie sociale. L’importance des vêtements et des formes, leur diversité ostentatoire, évitait toute confusion quant à la qualité respective des gens qui se mêlaient dans la ville. (C’est peut-être bien, d’ailleurs, au moment où les apparences vestimentaires perdirent cette capacité à désigner la condition d’un individu, que la distance spatiale prit dans la ville leur relais pour signaler les distances sociales. Encore faudrait-il voir que cette variété et ce mélange des conditions dans la ville d’Ancien Régime s’ordonnaient entièrement autour de la part la plus riche et dispendieuse de la population urbaine. Toutes les autres catégories n’étant là que pour servir celle-ci directement – les domestiques – ou indirectement – toutes les sortes de fournisseurs de biens. Il y avait bien une catégorie sociale échappant à cette fonction : celle des gueux qui erraient dans la ville, attirés par sa richesse, mais incapables d’y trouver un emploi compte tenu du régime des corporations qui limitait le droit au travail à leurs seuls membres. La présence de ces gueux se fait obsédante à la fin du XVIII siècle et compte pour beaucoup dans la montée d’un discours faisant de la ville le lieu de la corruption et de l’artifice par opposition à une campagne