Vilém flusser
LE SYNDROME
DE
VENISE,
URBI ET ORBI
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Aleksandra Mir, All places contain all others.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, le « monde de l’art » succède au « monde-vrai ». Le monde-vrai a toujours favorisé la guerre des images, car ses vraies images ne sauraient tolérer le voisinage des fausses. Non seulement les idoles détournent les hommes des icônes du monde-vrai, mais elles leur ressemblent beaucoup trop ; il faut donc les détruire. De la violence de Moïse brisant les tables de la loi sur le veau d’or avant de massacrer ses trois mille idolâtres non repentis1 à celle des talibans d’Afghanistan détruisant les Bouddhas de Bâmiyân le 8 mars
Figures de l’art
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En faisant de la phénoménologie téléologique de l’Esprit hégélienne une phénoménologie de l’éternel retour de la volonté de puissance de l’art, Nietzsche ramène le narcissisme de cette vision occidentale du monde, habile à faire de l’Europe chrétienne la fin de L’Histoire de l’humanité toute entière, à une légende dorée sur le déclin. Sa généalogie, moquant non sans humour l’outrecuidance de la grande marche allemande de L’Esprit universel d’Hegel, nous donne à penser que le monde-vrai n’a jamais été qu’une figure de l’art qui se prenait pour une révélation, une fable folklorique qui se prenait pour L’Histoire4, un babillage de prêtre masqué en philosophème ; une vieille lune. « La ruse de l’art », prenant la place de « la ruse de La Raison » leibnizienne, hégélienne ou marxiste dès les Considérations intempestives du
« Fiat Justitia, pereat mundus. Que la justice soit, le monde dût-il en périr. » La célèbre maxime que Ferdinand 1er hérite de Moïse ou de Platon est celle de tout juste du monde-vrai. En obéissant les yeux fermés à l’impératif catégorique de la loi morale afin de réaliser le règne des fins, le juste de Kant répète la maxime du saint empereur, quitte à justifier les pires gestes « icono-céphaloclastes » de La Révolution française2.