Voltaire ingénu incipit
(L'INTRODUCTION)
On n'apprécie véritablement une œuvre littéraire que dans son intégralité, ce qui vaut pour L'Ingénu, conte philosophique de Voltaire paru en 1767. Il faut aller jusqu'au bout de l'intrigue pour en comprendre toute la portée et son climat plus dramatique que les contes qui l'ont précédé. L'ingénu se termine comme un roman sentimental. Pourtant, le chapitre I qui en constitue l'incipit, est déjà, semble-t-il, très révélateur des visées de Voltaire. L'extrait retenu vient au douzième paragraphe, après la rencontre de l'Ingénu par l'abbé de Kerkabon et sa soeur. Nous sommes en Basse-Bretagne, le 15 juillet 1689, sous le règne de Louis XIV. C'est au cours d'un dîner donné le soir même au Huron, réunissant toute la petite société du canton, que Voltaire nous offre le premier tableau comme pris sur le vif des moeurs françaises de cette époque en opposition avec les réactions instinctives du jeune homme. Le passage qui nous intéresse occupe à peu près deux pages d'une édition courante pour ne s'achever que deux pages plus loin. Voltaire présentant son récit comme une « Histoire véritable tirée des manuscrits du Père Quesnel », un oratorien janséniste, on peut se demander s'il a vraiment voulu offrir un court roman des moeurs du XVIIème siècle en France. On sait son intérêt pour l'Histoire et pour les moeurs de son temps, mais c'est dans une perspective critique qu'il adopte naturellement un registre satirique. A la date où paraît l'Ingénu, Voltaire est un écrivain célèbre qui n'a pas craint d'aborder plusieurs genres littéraires (le théâtre entre autres), qui a participé activement à la rédaction de l'Encyclopédie durant une vingtaine d'années ; philosophe notoire des Lumières, ce combattant pour les libertés s'est fait connaître d'un large public surtout par ses contes (une quinzaine a paru avant