Voyelles: Arthur Rimbaud
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos connaissances latentes :
A, noir corset velu de mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles,
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
Ô, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
-- Ô l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Poésies.
Arthur Rimbaud
Lettres et Couleurs :
Sujet d’évasion Dans ce célèbre sonnet d’Arthur Rimbaud (1854-1891), lui aussi connu pour ces idées marginales, anti-bourgeoises et comme étant libertin dans ses pensées, figure un jeu de couleurs, de lettres, de mots et de sons … Dans un tableau très coloré et fantaisiste, les voyelles deviennent des objets avec lesquels on peut s’amuser et qui portent en elles leurs propres réalités, sens et couleurs qu’il exprime comme « naissances latentes ».
Les couleurs ont ici, leur propre valeur symbolique : pour le noir ; la cruauté, la nuit : « puanteur cruelle », « golfes d’ombre », pour le blanc ; la fierté, la pureté, la légèreté, pour le rouge ; le sang, les lèvres, la colère et les excès, pour le vert ; la sérénité et la paix, pour le bleu ; l’évocation religieuse des cieux : « suprême clairon », « anges ». Avec un passage romantique sur le violet, pour l’évocation de la couleur des Yeux de l’être Féminim. Ce sonnet est le reflet d’un enseignement musical par le rythme de ses alexandrins, ou encore par la variété de ses rimes embrassées et suivies, mais aussi un enseignement abécédaire des voyelles.
Tout ceci accompagné d’une imagination débordante et sans réalité,