E A Franc Ais 2014
Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.
Jacques Réda, Retour au calme, « La Maison Rouge », 1989. Le poème « La Maison Rouge » se compose de trois sections, intégralement reproduites ici : « LA VISITE », « MAI SOMBRE » et « LES BRETELLES ÉTOILÉES ».
LA VISITE
Par un novembre obscur englouti sous les feuilles mortes
Qu'on amasse en marchant pour en mâcher l'odeur
(Et ma mère disait : tu vas abîmer tes chaussures,
Et mon père comme toujours ne disait pas un mot),
Au bout d'une avenue déserte où l'unique repère
Était, brune et rose, une usine de cacao,
Un dimanche on alla visiter la nouvelle maison.
Elle était haute et rouge, en brique avec des coins de pierre,
Pareille au château d'un poème étrange que j'avais lu,
Mais château de banlieue où devait pourrir ma jeunesse,
Comme entravé dans son étable un bouc irrésolu.
Et, dignement, avant les allées venues machinales,
Les éclats par-dessus la rampe et les portes claquant,
On remonta, redescendit l'escalier en spirale
Qui s'enfonçait jusqu'au sous-sol vers un jardin étroit.
Je m'émerveillai d'y trouver, tout au long de l'allée,
Si tardives et parfumées, quelques fraises des bois.
Sur le mur courait une vigne, et la grille rouillée
Donnait sur la berge du fleuve. On le sentait de loin
Qui roulait dans l'air mou d'automne un remugle de vase ;
On entendait rire et glousser au fil des remous
Son corps abandonné hâtif à des lueurs sournoises.
En face, une île toute en prés avec un pavillon
Un peu chinois et malfaisant comme le lieu du crime
Et, sur de forts appontements épaissis de bitume,
Un peu plus loin le pont roulant d'un hangar à charbon.
Muet à ce moment sous les arbres sourds et les brume
(Mais j'allais aimer la douceur rauque de sa chanson),
Sur la sauvagerie à villas, entrepôts, légumes,
Il s'élevait comme un signal dans l'entre chien et loup,
La nuit tombant