L'art peut il être immoral ?
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À la question "L’art peut-il être immoral ?" on serait tenté de répondre par l’affirmative. Il est en tous cas assez courant que des personnes s’indignent du climat nauséabond qui se dégage de certaines œuvres, des images de la femme que l’on jugera dégradantes ou des scènes de sadisme par exemple. Face à cela, nous trouvons des personnes qui affirment, au contraire, le caractère spécial et à part de l’expérience de l’art qu’ils invoquent au nom de la liberté d’expression.
Les débats récents sur les rapports entre l’art et la morale s’organisent autour de deux approches, l’autonomisme prônant l’indépendance de l’art à l’égard de tout jugement de valeur morale et le moralisme visant au contraire à impliquer la morale parmi les qualités esthétiques d’une œuvre. Si ces discussions ont contribué à éclairer un certain nombre d’aspects tant des pratiques artistiques que de l’expérience esthétique, les positions envisagées ne sont pas toujours clairement exposées. Car les questions qui animent ce débat impliquent, sans l’expliciter, une même question fondamentale : qu’est-ce que l’esthétique ?
Nous allons dans un premier temps présenter ces deux approches. Nous nous en tiendrons aux versions modérées telles que les invoque la littérature contemporaine au sujet du débat entre l’éthique et l’art, celles-ci nous paraissant suffisamment radicales pour éviter de parler des plus extrêmes encore. Surtout, la distinction faite traditionnellement entre les deux approches nous semble trop vague et ambigüe pour nous éviter une discussion substantielle sur ces questions.
1. 1. L’art par dessus tout ou l’autonomisme esthétique
Un autonomiste esthétique soutient qu’évaluer une œuvre d’art en tant qu’œuvre d’art suppose la prise en compte exclusive de ses qualités esthétiques, telles que sa cohérence, sa complexité formelle, son unité, éventuellement sa beauté et son originalité, tout aspect susceptible de faire de cette œuvre autre chose qu’un objet ordinaire. Or les propriétés