L'horloge, le buffet, le poète comme meuble et le cageot
Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi!Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroiSe planteront bientôt comme dans une cible;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizonAinsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;Chaque instant te dévore un morceau du déliceA chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la SecondeChuchote: Souviens-toi! - Rapide, avec sa voixD'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!
Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor!(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)Les minutes, mortel folâtre, sont des ganguesQu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!
Souviens-toi que le Temps est un joueur avideQui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi.Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi!Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!),Où tout te dira Meurs, vieux lâche! il est trop tard!" Charles Baudelaire
Le buffet
C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;Le buffet est ouvert, et verse dans son ombreComme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,De linges odorants et jaunes, de chiffons De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,De fichus de grand'mère où sont peints des griffons ;- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèchesDe cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèchesDont le parfum se mêle à des parfums de fruits.- O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruisQuand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.
Octobre 1870.Arthur Rimbaud - Poésies
Le poète comme meuble
Le poète appartient aux objets ménagers ;on