L'insociable sociabilité
INTRODUCTION
Que l’homme soit un « animal social », cela semble une évidence pour chacun d’entre nous, puisque de fait nous vivons en société, depuis notre naissance nous interagissons avec des tiers à qui nous devons l’essentiel de ce qui définit notre existence : nous recevons des soins, une éducation, une langue maternelle etc. Cependant, ces relations avec les autres n’en sont pas pour autant simples et paisibles : elles sont ponctuées de conflits, d’incompréhensions, de rivalités, de déceptions voire même d’exaspérations diverses. Aussi, de manière confuse, éprouvons-nous tous une sorte d’ambivalence dans le rapport à la société qui nous entoure, qui tantôt nous protège et tantôt nous pèse.
Celle-ci semble bien ne pas être le résultat de relations sociales insatisfaisantes ou qui resteraient à améliorer, mais bien inhérentes à notre propre nature. Telle est en tous cas la position défendue par Kant dans cet extrait de l’Histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, dont le point de départ réside dans une analyse de la nature humaine à l’égard de l’altérité.
Dans un premier temps, il montre ainsi les deux versants d’une contradiction fermement ancrée dans notre nature, à la manière d’un penchant qui nous anime tous (l 1 à l 5) : autant nous sommes naturellement poussés à nous associer avec d’autres (notre sociabilité), autant nous éprouvons dans le même temps une tension contraire. De la sorte, si la sociabilité est bien première (cela apparaît dans la simple forme grammaticale de l’expression « insociable sociabilité », faisant primer le nom sur l’adjectif), elle n’en reste pas moins contrariée par un mouvement contraire tout aussi inné et impérieux.
Nous serions enclins à y voir une réserve, une menace même pour les sociétés : le ferment de discorde venant ruiner toute entreprise sociale de l’intérieur. Or l’analyse de Kant est tout autre, puisqu’elle va aboutir à une