L'intimité étalée sur la place publique
TRANSGRESSION Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le zizi de votre épicier ou sur les maladies de Mitterrand. L'intimité se déballe partout et rend confuse la frontière entre le public et le privé. Où cela nous mène-t-il?
Michel Audétat
Comme elle semble loin, déjà, l'émotion des hommages rendus au président Mitterrand qui abolit la peine de mort ou développa l'axe franco-allemand. Sitôt la fosse refermée, sitôt évaporés les chants et l'encens de Notre-Dame, on courut s'occuper de l'adultère présidentiel et de son fruit coupable, Mazarine. Du moins jusqu'à ce que le livre du docteur Claude Gubler vînt détourner la curiosité publique vers le corps mis à nu du chef de l'Etat, et vers ses organes malades.
Le débat qui s'ensuivit, sur la capacité à gouverner, apparaît comme un mince prétexte. En réalité, on se repaît de ce face-à-face avec la mort dans la solitude élyséenne. On fouille les entrailles. On n'ignore plus rien du corps envahi par les métastases osseuses, soumis aux chimiothérapies, menacé par la thrombose. Et on imagine l'homme que décrit le docteur Gubler, constamment alité à partir de novembre 1994, uniquement préoccupé par sa disparition prochaine. Comme si, d'aveu en aveu, les deux septennats devaient se précipiter dans cet entonnoir de l'exhibition intime: François Mitterrand, qui cultiva le goût de l'Histoire avec le souci d'y occuper une place de choix, ressemble de plus en plus, post mortem, au héros pathétique d'un reality show.
Un des phénomènes marquants de ces dernières décennies aura été la croissante intrusion du privé dans la vie politique. En France, Valéry Giscard d'Estaing fut parmi les premiers à laisser transparaître l'homme privé derrière le masque de la fonction. On le voit en col roulé. Il s'exhibe sur un court de tennis. Il joue de l'accordéon. Ou alors, il débarque à l'improviste pour dîner chez Dupond ou Durand. Plus tard, il confessera avoir eu le souffle coupé par les jambes de